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Comme l'eau des étangs...

#metoo

3 Novembre 2017, 09:54am

Publié par Nathalie M.

Après  quelques mois de paresse blogueuse, me revoilà, avec un article pas très léger, désolée.

 

Les quelques semaines qui ont suivi le début de l’affaire Weinstein ont été compliquées pour nombre d’entre nous, mélange de soulagement - voire de jubilation - à être enfin entendues, de malaise - voire d’effroi - face à l’étendue des dégâts et souvent ponctuées de conversations parfois difficiles.

 

Je me souviens avec précision de toutes les fois où un pigeon m’a chié dessus (Budapest, juillet 85, Paris 10e, octobre 2005, Paris 12ème, septembre 2017). Je suis bien incapable d’en dire autant de toutes les fois où j’ai subi mains au cul, insultes sexuelles, mecs qui se frottent sur mes fesses dans le métro, (j’en avais d’ailleurs parlé ici), attouchements de la part de mes voisins de ciné ou de train, etc qui forment dans ma mémoire un magma putride que je n’ai pas très envie de regarder de près.

 

Mais je me souviens bien de la première agression que j’ai eu à subir de la part d’un inconnu :

Je viens d’avoir quinze ans. Je suis dans le train pour Paris. Avec ma meilleure copine, nous allons à la Fête pour la Paix. Entourées de militant-e-s et de sympathisant-e-s communistes, nous sommes forcément en sécurité, non? Il y a un mec, entre vingt et vingt-cinq ans, qui m’a souri. Je lui ai souri en retour puis je l’ai perdu de vue. Je suis avec ma copine dans le couloir du train. Nous regardons le paysage. Un groupe arrive vers nous. Il y a le mec de tout à l’heure. Quand il passe derrière moi, je sens sa main passer entre mes jambes et m’attraper violemment le sexe. Ça dure quelques secondes. Je suis tétanisée. De ce qui devait être un jour de fête, je n’ai que le souvenir de la peur que j’ai eue, toute la journée, de le recroiser, et de la honte de lui avoir souri.

J’avais quinze ans. Dans mon entourage proche, parmi mes clientes, mes amies, d’autres en avaient dix, douze... Je ne parle ici que des agressions subies dans l’espace public, de la part d’inconnus.

 

Pendant ces dernières semaines, j’ai écouté et lu les récits des autres, leurs articles, leurs chroniques. On en a parlé en famille, avec des clientes, des ami-e-s.

Il y a eu ceux qui ont dit qu’ils ne se doutaient pas. Bien sûr j’ai eu tendance à leur rétorquer qu’ils n’avaient surtout pas envie de savoir, que depuis le temps qu’on essaie de le dire, ils auraient pu en entendre au moins un peu. Pourtant, j’ai envie de les croire, ne serait-ce que parce qu’il y a eu aussi celles qui ont dit qu’elles ne se doutaient pas que nous étions si nombreuses à  avoir vécu des trucs glauques, comme elles, parce qu’il y a eu ma propre surprise à chaque fois que sur le statut d’une femme que j’admire pour sa force, son intelligence, ou sa joie de vivre, j’ai lu le hashtag #metoo.

Il y a eu ceux qui avaient peur des dérives, qui craignaient d’être à leur tour accusés, à tort, qui se sentaient considérés comme coupables a priori, par le seul fait d’être des hommes. J’avoue avoir eu plus de mal à les entendre, à accepter de mettre en balance leur souffrance d’innocents potentiellement accusés avec celle des survivant-e-s réellement agressé-e-s. J’ai essayé de leur faire comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un règlement de comptes, encore moins d’une guerre des femmes contre les hommes mais de toutes les personnes de bonne volonté contre le patriarcat. J’espère que mon discours a été un peu entendu.

Il y a eu celui qui soudain a pris conscience de son propre comportement :

« Alors le mec qui insiste parce qu’il croit que c’est comme ça qu’il faut faire, la femme, en fait, elle le prend pour un gros lourd, c’est ça ?

- C’EST un gros lourd, ont répondu les femmes présentes, et de toute façon, il n’arrivera pas à  la séduire comme ça. T’as déjà vu une seule fois où ça marchait ? 

- Ben non... »

Il y a eu celles et ceux qui m’ont raconté à leur tour ce qui leur était arrivé. J’ai été frappée par le fait que dans tous ces récits, l’abus prenait place au sein d’un rapport de pouvoir. Dans chaque histoire on trouvait au moins l’un des paramètres suivants : un-e adulte abusant d’un-e enfant ou d’un-e adolescent-e ; un homme abusant d’une femme ; un-e supérieur-e hiérarchique abusant d’un-e subordonné-e ; une personne non racisée abusant d’une personne racisée. Cela me conforte dans l’idée que dans les abus sexuels, à quelque degré qu’ils soient, il est question de domination, pas de désir de l’autre. Et que la lutte féministe s’inscrit forcément dans une lutte plus large, contre toutes les oppressions.

 

Pendant ces dernières semaines, la parole s’est libérée. Les témoignages ont perdu la forme de confidences intimes, un peu honteuses, qu’ils avaient autrefois, quand on refusait tellement de nous entendre que nous n’osions pas parler, presque sûr-e-s que nous ne serions pas cru-e-s, ou que notre ressenti serait minimisé. D’ailleurs, moi aussi, autrefois, j’ai minimisé. Non seulement pour moi mais aussi pour les autres. A une fillette de onze ans qui me racontait qu’un inconnu dans la rue avait soulevé son cartable  pour lui toucher les fesses, j’ai d’abord répondu, sans réfléchir : « Tu sais, malheureusement c’est que la première fois d’une longue série... ». J’ai honte de cette réaction. Mais je lui disais la vérité. Cette semaine, à une autre fillette de onze ans, j’ai pu dire : «  Si ça t’arrive - ça t’arrivera malheureusement sûrement un jour-, tu pourras crier et dénoncer, et les gens autour te croiront, et te viendront en aide et te soutiendront parce que désormais plus personne ne pourra faire semblant de ne pas savoir. » Et j’espère lui avoir dit la vérité. 

 

Je ne sais pas si ces semaines changeront vraiment notre monde ; je ne sais pas si on en parlera plus tard dans les manuels d’histoire. Mais j’ai l’espoir qu’elles constituent un pas de plus dans la construction, ensemble, d’une société plus égalitaire. Et je rêve que mes petites-filles, un jour, ouvrent des yeux incrédules et horrifiés quand on leur racontera comment ça se passait, avant octobre 2017. 

 

Fillettes de onze ans rentrant de l’école

Fillettes de onze ans rentrant de l’école

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